Dakar et le désert sénégalais
Dakar et le désert sénégalais
Au Sénégal, l’Aménagement du Territoire est défini comme un ensemble de mesures et d’actions volontaristes visant, par une organisation prospective de l’espace, à utiliser le territoire de manière rationnelle, en fonction de ses ressources et potentialités, et dans le but de satisfaire les besoins immédiats et futurs de l’ensemble de la population.
L’aménagement du territoire répond à plusieurs enjeux notamment spatiaux, socioéconomiques, environnementaux, politiques voire de développement durable.
Au Sénégal, le constat le plus partagé est la concentration des activités administratives, économiques et politiques à Dakar (capitale du Sénégal).
Elle regroupe 75% des agents de l’administration sénégalaise (selon un responsable de l’Amicale des administrateurs civils du Sénégal, in APS, samedi 28 juillet 2012).
Un bref rappel historique parait nécessaire afin de mieux cerner certains aspects.
Dakar et le désert sénégalais
La colonisation a joué un rôle déterminant dans le maillage du territoire.
En effet, le tracé des grandes infrastructures routières et ferroviaires, et des équipements structurants (ports, marchés…) répondaient aux besoins du colonisateur à savoir la production des produits primaires qui été ensuite exportés vers la métropole.
Au lendemain de la décolonisation, nous avons pratiquement maintenu le même tracé sans pour autant chercher à savoir si ce modèle était en phase avec le Sénégal que nous voudrions et devrions bâtir.
Au niveau institutionnel, la mise en place d’un service d’Aménagement du Territoire a eu lieu en en 1962, par la suite la Direction de l’Aménagement du Territoire (DAT) fut créée en 1967.
Elle se devait d’anticiper pour mieux organiser le territoire, d’agir pour corriger, de prévoir le développement de l’urbanisation entre autres missions.
Malgré sa mise en place, l’insuffisance des ressources humaines, financières et matérielles de la DAT et des Services Régionaux d’Aménagement du Territoire s’est toujours posé avec acuité.
LES COLLECTIVITES LOCALES ET LEUR IMPACT
Les autorités locales et étatiques ont toujours marginalisé la planification spatiale.
Celle-ci n’a pas encore réellement répondu à l’attente des populations.
A titre illustratif, l’Etat a balbutié dans la gestion de ladite direction. Son ancrage institutionnel est marqué par une forte instabilité : en 1978 elle a quitté le Ministère du Plan pour se retrouver au Ministère de l’Urbanisme (qui fut 8 fois ministère de tutelle) jusqu’en 2002.
Avec l’alternance politique survenue en 2000, cette direction a été érigée successivement en Ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation, Ministère de l’urbanisme et de l’Aménagement du Territoire, Ministère de l’Aménagement du Territoire, du commerce et de la coopération décentralisée.
Divers documents stratégiques applicables à différentes échelles ont aussi été élaborés :
- Plan National d’aménagement du Territoire (PNAT),
- Schémas Régionaux d’Aménagement du Territoire,
- le Schéma d’Aménagement et de Gestion du Terroir Communautaire (SAGTC),
- et le schéma directeur d’aménagement des zones spécifiques.
De même, l’aménagement du territoire est une compétence transférée depuis 1996 aux collectivités locales.
Vu la complexité de cette discipline, ne soyons pas étonnés des résultats produits.
Nonobstant toutes ces dispositions, l’occupation de l’espace sénégalais se caractérise par des déséquilibres criants.
Afin d’y remédier, le PNAT prévoit au cours de la deuxième étape (2006-2021), de procéder au rééquilibrage par un développement plus appuyé et plus volontariste des zones à développements attardés du pays.
Là aussi, il y a nécessité de s’interroger au regard des actes posés par le gouvernement actuel.
En dépit de sa forte capacité polarisatrice, la capitale du Sénégal ne couvre que 0,27% du territoire national.
Cette macrocéphalie est la résultante d’un défaut de politique nationale d’aménagement du territoire pertinent.
Dans la mesure où le développement économique des terroirs souffre d’un déséquilibre patent.
Les autres régions du pays n’ont pas une très grande capacité d’attraction et de fixation des populations. Elles ne sont pas à même d’impulser le développement local tant escompté.
En outre, le secteur primaire est en perdition. Jadis, il occupait 85% de la population, de nos jours ce chiffre est passé à 65%.
Là aussi, une vraie politique agricole n’a jamais été la principale préoccupation des deux derniers régimes.
De ce fait, il y a un dépeuplement de l’intérieur du pays à cause des populations qui migrent vers la ville à la recherche de travail, de meilleures conditions de santé, entre autres.
Dakar et le désert sénégalais
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L’aménagement du territoire est une politique structurelle destinée à répartir la production de richesses sur l’ensemble du territoire. Pourtant en réalité c’est loin d’être le cas.
Au moment où la capitale sénégalaise étouffe de tous bords, il est prévu la construction de la « Cité de l’émergence » en plein centre-ville. Bien avant, le pôle urbain de Diamniadio a aussi été inauguré.
Pour ce dernier projet, deux analyses sont probables sous l’angle de l’aménagement du territoire.
La première consisterait à souligner le fait que ce projet s’installe à la périphérie du centre-ville (environ 30 km).
A contrario, la seconde met en exergue la forte centralité de la région de Dakar puisque administrativement la commune de Diamniadio appartient à ladite région.
Pour la construction de la cité de l’émergence, sans aucun doute seule la deuxième analyse semble adéquate. A savoir que les autorités étatiques persistent dans leur politique spatiale macro céphalique manifeste.
La marginalisation spatiale semble être le maître mot.
Le territoire sénégalais est globalement mal organisé, déséquilibré avec un découpage administratif très incohérent.
Où l’on note une absence totale de vocations des régions, qui par ailleurs sont pléthoriques concomitamment à la superficie nationale très limitée (196 722 Km²).
Dakar et le désert sénégalais
Ces régions apparaissent plus comme des circonscriptions administratives que de véritables pôles de développement.
Un peu partout à travers le monde, l’exclusion spatiale de certaines contrées a souvent conduit à des velléités sécessionnistes (Casamance, Nord Kivu, Cachemire indien…).
Les déficiences des politiques spatiales en sont une cause non négligeable sinon majeure.
Rejoindre le sud du Sénégal relève d’un vrai calvaire, avec toutes les tracasseries liées à la traversée de la Gambie.
Cet enclavement excessif pourrait expliquer la volonté de ces populations autochtones de revendiquer l’autodétermination, appuyé en cela par les multiples commodités de l’essor de l’économie transfrontalière.
Depuis l’accession à l’indépendance du Sénégal, combien de projets concrets avec des impacts tangibles ont été mis en œuvre ou ressentis dans les autres régions ?
En revanche, combien de milliards ont été engloutis à Dakar dans les tunnels, ponts et échangeurs.
Dakar et le désert sénégalais
Quid de l’accès aux collectivités ci-après : Bakel, Oussouye, Dara Djolof, Koupentoum, Aeré Lao, Diouloulou, Ourossogui etc. D’ailleurs, le tronçon routier Fatick Kalolack est dans un état plus que déplorable depuis plusieurs années.
La région de Dakar qui ne compte que 23% de la population sénégalaise phagocyte tous les investissements.
Ainsi les externalités négatives ont fini de prendre le dessus. Dakar est devenue une synthèse de problèmes : inondations, problèmes de mobilité urbaine, « cantinisation » à outrance, insécurité, insalubrité, occupations illégales, développement des quartiers spontanés, difficultés d’accès au logement disparition des réserves foncières et des poumons verts …
la liste est loin d’être exhaustive.
Lorsque la population augmente et que la superficie du territoire en question reste la même : il y a vraiment nécessité de la programmer, d’anticiper pour mieux organiser et d’agir pour rectifier.
Afin d’y parvenir, il faut élaborer une vrai politique d’aménagement.
L’espace n’est jamais neutre d’où la nécessité de le planifier.
Dakar et le désert sénégalais
Partant de ce constat, il faut procéder à un maillage cohérent du territoire, répondre aux besoins réels des populations en réduisant le nombre de régions afin d’en faire des entités économiques plus homogènes avec des attraits biens spécifiques.
Ce qui aboutirait à une réduction drastique des disparités intra et inter régionales et par la même occasion participerait à décongestionner la capitale.
Eviter de créer de régions administratives dénudées d’objectifs réalistes et réalisables et de ressources humaines compétentes.
Dans le même ordre d’idée, les instruments de politique territoriale (agences, directions, plans…) doivent être plus participatifs, mieux dotés humainement et financièrement et cesser de servir à des fins de politiques politiciennes.
La prise en compte des différents enjeux socioéconomiques, environnementaux et surtout fonciers est tout aussi fondamentale.
En outre, le développement des connexions territorialisées serait un bon vecteur d’intégration, notamment la résurrection du réseau ferroviaire afin de promouvoir un développement équilibré du pays.
Au niveau politico institutionnel, la révision de la politique décentralisation dans le fond devient impérative.
Dans sa finalité, elle devrait être plus économiquement fonctionnelle en développant des mesures incitatives afin de motiver les entreprises à s’installer à l’intérieur du pays.
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Pour y parvenir, l’élaboration de cette politique doit répondre à des besoins plus structurels et non conjoncturels.
La résultante des politiques étatiques en matière d’aménagement ont fini par installer un sentiment largement partagé selon lequel le Sénégal se limite à la région de Dakar.
Aujourd’hui dire que le fossé entre Dakar et le reste du Sénégal est abyssale, relèverait d’un pléonasme.
Un Sénégal émergent doit au-delà du slogan, se traduire par un développement promouvant plus d’équité tout en répondant aux aspirations des Sénégalais de l’intérieur qui appartiennent eux aussi à la nation sénégalaise.